La société française Artefact (800 personnes), agence positionnée sur la transformation des entreprises par l’optimisation des données, vient d’ouvrir un bureau aux Etats-Unis avec des ambitions élevées. Vincent Luciani, cofondateur et codirecteur général d’Artefact avec Guillaume de Roquemaurel, explique la vision portée par l’agence et en quoi la crise fait évoluer les besoins des marques.

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Les enjeux auxquels sont confrontées les marques sont de plus en plus complexes et leurs besoins sont désormais hybrides. Comment se positionne Artefact pour y répondre ?

Nous sommes une agence positionnée sur la transformation des entreprises et le marketing numérique, avec une activité centrée sur l’usage des données, c’est justement notre réponse à la complexité que vous évoquez : nous voulons être les champions des activités digitales pilotées par la data. Nos activités portent sur la transformation par la data (conseil, conception et développement de projets, organisation, gouvernance…), le data marketing (technologies, outillages, formation) et le digital marketing (e-commerce, CRM et social CRM, achat et conseil média). Nous pouvons avoir des territoires de concurrences avec les grands réseaux d’agences de communication ou les grands les cabinet de conseil, mais les acteurs qui nous ressemblent le plus sont sans doute Jellyfish (Fimalac) et S4 Capital (Martin Sorrell).

L’agence est composée d’environ 800 personnes dans le monde. 250 sont en France, 150 en Chine, 100 en Allemagne et 100 au Royaume-Uni, 50 aux Emirats Arabes Unis (à Dubai), 50 aux Pays-Bas et enfin une centaine sont réparties en Espagne, au Brésil et quelques uns aux Etats-Unis où nous venons d’ouvrir un bureau en avril, à New York, pour compléter l’antenne commerciale qui préexistait à Los Angeles. Nous visons une centaine de collaborateurs aux Etats-Unis en 2025 pour 10 % des revenus. 80 % de nos clients sont des CPG et des retailers : Carrefour, Samsung, Reckitt, Danone, L’Oréal, Unilever, etc., avec des problématiques liées à la DTC (“direct to consumer”, des marques dont l’objectif est de créer un lien direct avec le consommateur, ndlr), notamment via leurs données propriétaires et le e-commerce. Google et Orange sont également des clients.

La crise a-t-elle changé le comportement et les attentes des marques ?

Oui, la crise a créé une prise de conscience chez les marques sur la nécessité d’accélérer leur transformation numérique. Beaucoup de projets en ce sens ont été validés fin 2020 pour une mise en œuvre au premier trimestre 2021 – certes avec souvent un peu de retard par rapport aux volontés initiales – mais les entreprises ont compris l’importance de leurs investissements dans le numérique et particulièrement dans les projets de transformation.

Elles se contentaient souvent autrefois de projets pilotes. L’accélération de la digitalisation de la consommation due à la crise sanitaire les conduit à mettre en place des projets plus structurels et plus ambitieux. Leur durée est plus longue – deux à trois ans contre un à deux – avec des budgets plus importants, des équipes plus grandes et plus hybridées. Et ces projets sont davantage intégrés. Les directeurs du digital avec qui nous travaillons sont désormais expérimentés. Le niveau de maturité moyen sur ces questions au sein des entreprises a largement progressé ces dernières années. Ils ont maintenant besoin de consultants numériques, mais aussi de data analystes, de développeurs, des experts en IA, etc.

Quels sont les enjeux auxquels vos clients portent-ils le plus d’attention ?

De manière large, il y a beaucoup d’interrogations sur les données, que ce soit le pilotage, l’utilisation ou l’acquisition. C’est un asset extrêmement important si elles sont bien utilisées. Cela permet par exemple l’estimation fine des besoins de production d’une entreprise et de la gestion de ses stocks en anticipant la demande des consommateurs (le “demand forcasting”, ndlr). Nous avons la capacité à concevoir et construire cela in house chez le clients à partir d’API open source, sans nécessiter de grosse infrastructure technologique.

Une problématique majeure qui revient très souvent porte sur la façon d’optimiser l’utilisation du e-commerce. Depuis un an, toutes les marques ont augmenté leur présence sur le numérique et veulent mieux vendre sur ce canal. Cela génère une concurrence importante entre elles pour capter l’attention des consommateurs, et donc une explosion des coûts d’acquisition en ligne. Notamment sur Amazon. Les marques qui sont confrontées à cette situation veulent donc répondre à trois problématiques : comment se distinguer pour être meilleur que ses concurrents ? Comment piloter ses investissements budgétaires et bien mesurer pour procéder aux bons arbitrages pour la promotion et le marketing ? Comment résoudre les nouveaux enjeux juridiques et technologiques des environnements de first party data ? À chaque fois, la donnée permet de fournir des réponses.

“Nos ambitions aux Etats-Unis sont importantes ; nous visons une centaine de collaborateurs en 2025 pour 10 % des revenus.”
– Vincent Luciani

L’un des enjeux importants concerne également la connaissance des consommateurs, alors que les cookies tiers sont amenés à disparaître. Comment, pour une marque, continuer à connaître et à s’adresser aux bons prospects ?

Les entreprises devront développer un lien avec les consommateurs. Et c’est déjà ce que nos clients nous demandent. C’est une nécessité puisqu’on estime à 50 % la part du e-commerce dans le commerce total en 2025, dont une large partie effectuée au sein des écosystèmes de Google, Amazon et Facebook, alors que ceux-ci vont livrer moins de données. Le Graal, pour une marque, sera de plus en plus de générer des first party data, et donc de parvenir à ce qu’une part importante de ses clients soient logués dans son univers. Cela sera moins difficile pour les grandes marques, qui peuvent s’appuyer sur une relation client déjà amorcée et mettre en place un environnement first party data natif autour, mais c’est tout de même très compliqué pour tous les acteurs. C’est un enjeu crucial pour toutes les entreprises.

Il y aura sans doute un volume de données consommateurs disponible moindre, mais de meilleure qualité. Pour continuer à les générer et les exploiter, il faudra développer des second party data via des partenariats et des alliances avec des acteurs alternatifs pour partager les données. Nous travaillons sur trois leviers pour cela. En Chine, nous avons noué un partenariat avec Alibaba – nous sommes son seul partenaire parmi les structures qui ne sont pas membres d’un grands réseaux d’agences – pour croiser nos données. En France, nous avons noué un autre partenariat avec Carrefour pour accéder aux données de son programme de partage de données Carrefour Xperience, utile pour des études et une activation en retail media dans l’univers en ligne de Carrefour ou en dehors. Ce sont des instruments dont les données permettent d’améliorer la chaine logistique et le category management (optimisation des ventes, ndlr).

L’enjeu porte aussi sur l’exploitation des données et la mesure. Comment continuer à suivre le comportement des internautes en ligne et les performances des campagnes dans le monde sans cookie tiers qui se prépare ?

Il y aura d’abord les environnements sécurisés ou le ciblage avec consentement. Le ciblage contextuel devrait se développer même si des améliorations doivent encore être réalisées. C’est surtout la Privacy Sandbox de Google, avec sa logique de mesure par cohortes à la place de la mesure one-to-one, qui sera sans doute importante ici pour continuer à cibler et mesurer. Pour l’instant il y a peu d’informations sur la nature exacte du dispositif et ses effets. Deuxième moyen, les environnements logués : les plateformes ont évidemment ici un avantage important sur le reste du marché. Il y aura un travail à faire autour des programmes CRM des clients et des API pour l’interfaçage avec les acteurs technologiques. Enfin les modèles mathématiques devraient se développer autour du mix media modeling. Mais il y a des limites à lever : il faut beaucoup de data, les modèles ne sont pas très granulaires, nécessitent de travailler sur du temps long – souvent six mois -, sont parfois complexes voire opaques, et ils donnent des résultats dont les causalités sont parfois peu évidentes à déterminer.

Pourquoi avoir ouvert en avril un bureau sur le territoire américain, où le marché est très concurrentiel ? Quelles sont vos ambitions sur ce territoire ?

Nous avons en effet ouvert un bureau à New York pour compléter l’antenne commerciale préexistante, située à Los Angeles. C’est une demande de nos clients internationaux. Il est dirigé par Ghadi Hobeika (il a été directeur marketing de Fnac-Darty en France et était récemment directeur commercial du groupe Unibail aux Etats-Unis, ndlr). Le marché américain du marketing et de la transformation numérique est effectivement plus concurrentiel et plus vertical qu’en France, alors que nous avons un champ d’activité très horizontal ; il faudra créer un équilibre. Et c’est un marché immense. Nos ambitions sont importantes ; nous visons une centaine de collaborateurs aux Etats-Unis en 2025 pour 10 % des revenus. Nous estimations avoir des atouts, avec un portefeuille de clients déjà solides, une expertise dans l’usages des données, qu’il est d’ailleurs plus facile de déployer aux Etats-Unis car les acteurs ont davantage l’habitude de la partager et de s’associer avec les fournisseurs spécialisés, et enfin nous pourrons nous appuyer sur nos expertises internes, notamment nos développeurs.

“La formation, c’est le grand enjeu du moment dans les agences.”

– Vincent Luciani

Le secteur a vécu une année très compliquée en 2020. Quel a été l’impact de la crise sur l’agence ?

Il n’y a pas eu d’impact économique important pour notre structure. La société a réalisé une marge brute de 70,3 millions d’euros en 2020, en croissance proforma de 10 %. Nous avons été peu affectés par la coupure des budgets publicitaires car notre activité est majoritairement constituée de projets structurants que nos clients ont eu la sagesse de ne pas stopper, que ce soit dans la technologie, les données, l’organisation, etc. C’est surtout l’après-crise qui s’annonce incertaine pour le contexte économique, il faudra être vigilant. Les aides de l’Etat aux entreprises vont cesser (à partir de juillet, et de façon progressive pour certains secteurs, ndlr), des tensions macro-économiques auront lieu sur les entreprises et il y aura des faillites… La crise risque d’être profonde, le chômage va augmenter. Cela pourrait peser sur nos clients.

En interne, l’impact a plutôt porté sur les RH. Le plus difficile a été de conserver le contact humain du fait de la distanciation, et de garder tout le monde mobilisé du fait du contexte social et des incertitudes sanitaires. Le conseil est un métier humain fait d’échanges et de relations humaines. Même si on sait s’adapter, on peut difficilement les remplacer sur une longue période. Un challenge important, et depuis plusieurs mois déjà, c’est comment remobiliser et ré-engager les salariés. Nous avons beaucoup de collaborateurs âgés de 25 à 27 ans, ils veulent trouver du sens dans le travail et les projets qui les occupent. Le confinement a été plus difficile pour eux.

Beaucoup de salariés en agences sont effectivement encore tout ou partie en télétravail et ce depuis plus d’un an. Comment engager les collaborateurs au sein de l’entreprise, alors même que les agences sont traditionnellement affectées par un turnover important ?

La priorité doit être de mettre les salariés dans une situation la plus confortable possible dans leur travail au quotidien. C’est humainement notre rôle, mais c’est aussi plus efficace pour le fonctionnement de la société. Cela passe par toute une série de leviers sur lesquels nous, dirigeants, pouvons agir : maintenir une bonne gestion opérationnelle à la fois vis-à-vis de nos salariés et dans la mise en œuvre des projets, développer un dialogue régulier, ainsi que continuer à former les collaborateurs et assurer leur montée en compétences : la formation, c’est le grand enjeu du moment dans les agences. Nous mettons pour cela à disposition un learning management system (“LMS”, logiciel d’apprentissage et d’accompagnement mis en place par une structure pour ses équipes, ndlr) qui propose nos des ateliers de formation à partir de plus de 500 programmes réalisés en interne ou achetés.

Favoriser l’engagement des salariés, cela passe aussi par la décentralisation de l’entreprise. Avec 800 personnes dans le monde, la direction ne peut pas tout gérer, ni tout faire au sein de l’entreprise, y compris en France où nous avons 250 à 300 collaborateurs. Nous avons donc décentralisé la société : de plus en plus de décisions sont prises “en bas”, à l’échelle hiérarchique la plus adaptée selon le sujet ou le besoin. La RSE est également un levier important pour mobiliser nos salariés. Au-delà de la seule mission de dégager des profits, nous considérons que l’entreprise a un rôle social et peut agir dans la vie publique et les enjeux sociaux. Nous voulons appliquer notre expertise sur les données à des sujets liés à la société, comme la représentation des diversités ou l’éthique des algorithmes, la place des femmes dans les sociétés technologiques, etc. Nous voulons agir avec nos salariés sur ces aspects mais sans leur imposer, il faut laisser les laisser les collaborateurs libres de choisir s’ils veulent s’investir pour que cela soit efficace.

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